En 1954, alors que s'amorçait l'édification européenne initiée à Rome en 1950 (Europe des 6) le Centre d'Action Européenne Démocratique et Laïque (CAEDEL) a été fondé et doté d'un bulletin trimestriel: Europe & Laïcité. Son objectif était et reste toujours de contribuer à la construction d'une Europe solidaire et démocratique, et d'y faire prendre en compte les valeurs constitutives de la Laïcité .

L'édification de l'Europe présente à la fois un double danger et une chance exceptionnelle:

Le premier danger est qu'une certaine conception très "carolingienne et vaticane" de l'Europe occidentale, engendre une délaïcisation de la France, au nom d'une prétendue nécessité d'uniformisation des législations. En effet, la France est, avec le Portugal, le seul État doté d'une constitution et d'une législation laïques.

Le second danger est que les institutions et les lois européennes soient d'inspiration cléricale, et imprégnées des dogmatismes qui régissent souvent la vie collective dans les autres états.

La chance exceptionnelle qui s'offre aux laïques est la possibilité de faire partager les valeurs constitutives de la Laïcité, ses implications constitutionnelles et juridiques, les acquis et les enrichissements qu'elle engendre, et l'harmonie sociale qu'elle permet.

Le Mouvement "Europe & Laïcité" prit racine (sous le nom de CAEDEL) dans tous les états européens, membres de la nouvelle Communauté. Depuis plus de 40 ans, l'action militante des laïques européens a permis une féconde coopération interassociative entre les organisations laïques.
C'est pour faciliter la communication, et tout spécialement la communication internationale, que nous avons changé le nom de notre mouvement. Administrativement, il reste déclaré, en tant qu'association, sous son nom d'origine.

La Laïcité

• c'est l'amarrage à quelques valeurs universalistes : le libre examen, la liberté de conscience, d'expression et de création;
• c'est aussi la tolérance réciproque qui, en dehors, de tout laxisme (vis à vis des intolérances dogmatiques) permet la compréhension mutuelle, le droit à la différence ne devant pas être confondu avec la différence des droits,

• c'est l'indépendance absolue des affaires publiques et civiques par rapport au domaine, (strictement privé), du religieux et du sacré,
• c'est la stricte séparation des Églises et des États, avec toutes les implications pratiques qui en découlent.

A un moment où de multiples inclusions de cultures d'origines extra-européennes se manifestent en Europe, seule une laïcité attachée à l'indépendance, à la tolérance mutuelle et aux libertés, peut permettre l'indispensable cohésion sociale, dans la diversité des cultures. Si nous voulons éviter que s'aggravent et se reproduisent des drames comme ceux d'Irlande du Nord, de l'ex-Yougoslavie, de l'Algérie et bien d'autres situations imputables en partie à la non-laïcité, il faut que s'imposent les solutions que celle-ci rend possibles.

Le Mouvement "Europe & Laïcité" s'efforce de les promouvoir. Nous devons également être lucides et vigilants: la laïcité véritable ne doit pas en France, être édulcorée. Elle doit se maintenir, sans pour autant prétendre devenir un modèle unique et irrécusable. Les voies qu'emprunte la laïcisation de nos sociétés sont multiples, mais la nécessité d'y parvenir est identique dans tous les pays d'Europe.

Partout, la laïcité doit s'opposer aux prétentions des cléricalismes à dominer la vie civique ou à s'y intégrer: elle est donc anticléricale. Mais elle n'est pas antireligieuse, car elle établit la liberté de conscience, c'est à dire le droit de croire ou de ne pas croire, et de dire pourquoi. Les croyants de toutes confessions et les athées de toutes sensibilités peuvent admettre cela, car cette laïcité-là est ouverte à tous et elle a su apporter un siècle de paix civile à la France.

C'est toute l'Europe qui a besoin d'en bénéficier. A nous d'expliquer en quoi elle consiste: c'est pourquoi nous avons élaboré et diffusé un projet de Charte Européenne de la Laïcité. Cette Charte contient les principales propositions de notre Mouvement en matière de principes et d'implications pour une laïcisation des esprits et des institutions. Son texte a été traduit en anglais, allemand, espagnol, néerlandais, italien, et roumain. Ces textes sont disponibles ou seront bientôt disponibles sur ce site. Nous la diffusons auprès des autres associations laïques européennes, des élus membres des Parlements nationaux et européen, et des médias.

Note: Nous cherchons des traducteurs bénévoles pour les versions en langues scandinaves, en polonais, et en russe.

La laïcité étant, par définition, un antidote à toutes les mises en condition des individus, des groupes et des sociétés. Il n'est pas surprenant qu'elle soit combattue, non par de simples croyants, mais par les professionnels du cléricalisme qui se prétendent détenteurs d'une vérité indiscutable.

Les religieux de toutes confessions, attachés à leurs habitudes de domination "spirituelle" et à leurs comportements contraignants, considèrent à juste titre que toute laïcisation s'effectue aux dépens de leur vocation à imposer partout une soumission culturelle, sociale et politique qu'ils estiment légitime de faire régner.

Certes, toutes les formes de religiosité ne sont pas anti-laïques, mais il est évident qu'en Europe, la hiérarchie catholique romaine, l'Église orthodoxe, le fondamentalisme judaïque et l'intégrisme islamique livrent des luttes acharnées contre l'éthique laïque et contre la laïcité institutionnelle.

Cette attitude n'est pas pour autant celle de tous les croyants culturellement originaires des confessions considérées, car dans toutes les nations européennes, on constate une accélération de la laïcisation des esprits et une sécularisation progressive de la vie sociétale.

Ces réalités rendent d'autant plus nécessaires les actions d'expansion des valeurs laïques en Europe et le refus de toute resacralisation, là où la laïcité s'est affirmée. D'où la création et le développement du Mouvement "Europe & Laïcité" et la nécessité de son expansion.

Une prospective laïque et citoyenne pour l'Europe

Au moment où le débat européen va retrouver une actualité électorale (en 1999) qui en réanimera l'intérêt, nous souhaitons que ce texte puisse servir de sensibilisation à une réflexion collective en vue d'une prospective politique européenne. (Ce texte est tiré de Europe et Laïcité no 156, automne 1998).

Vers une citoyenneté européenne?

Puisque l'élaboration européenne vise à édifier une superpuissance apte à jouer un rôle majeur dans le plan international, il ne fait pas de doute qu'une telle entreprise nécessite une base et une charpente idéologique sans lesquelles le projet resterait à l'état de bulle virtuelle. Un regroupement de plus de 300 millions d'individus a besoin d'un substrat idéologique suffisamment vital pour que s'affirme une homogénéité humaine garante de son propre avenir.

Dans les années 50, on a cru habile de mettre en chantier une élaboration fondée avant tout sur l'économie et sur la richesse matérielle de l'ensemble, sans lui donner une assise civique, morale, idéologique et culturelle. C'est Jean Monnet lui-même, qui déclarait, peu avant sa mort, qu'il aurait fallu commencer par l'édification culturelle de l'Europe, ce que certains ont traduit par "donner une âme à l'Europe". Pour ambiguë que soit cette dernière formulation, on comprend bien qu'elle vise surtout à souligner la nécessaire priorité qu'il eût fallu accorder à l'aspect éthique de l'entreprise.

Ce n'est pas à partir d'un projet optimiste ou d'un compte d'exploitation encourageant qu'on détermine une existence collective. Encore faut-il une volonté de vivre ensemble. Et c'est précisément cela qu'on appelle la citoyenneté. C'est une notion fortement établie et enracinée sur le plan national chez chacun des peuples associés au sein de l'Union Européenne, mais la notion de citoyenneté est encore peu manifeste ni même perceptible au niveau du continent.

Une volonté de vivre ensemble?

Formulée de façon interrogative, cette idée exprime l'incertitude qu'objectivement on ressent encore au sein des opinions publiques européennes. Encore convient-il de noter qu'un certain sentiment d'inéluctabilité concernant la nécessaire construction européenne tempère actuellement le scepticisme majoritairement ressenti dans les mentalités nationales. Fruit d'une évolution progressive des esprits, l'ébauche occasionnelle d'une esquisse de conscience européenne se manifeste à certains égards.

De là à parler d'une réalité citoyenne, il y a une large différence au niveau des réalités. Dans le numéro 145 de notre bulletin, nous avions écrit: une citoyenneté ne se décrète pas, elle s'élabore et ses principes constitutifs se conquièrent. Elle est un long combat, permanent et toujours élargi.

Problèmes pour une citoyenneté européenne.

Les multiples diversités internes à l¹entité européenne sont bien connues. Peu sensibles et assez secondaires au niveau ethnique, les particularismes sont extrêmement marqués sur le plan des religions encore pratiquées et des traces qui en subsistent. Les diversités philosophiques qui ont imprégné les consciences, les cultures et les moeurs, ont engendré de profondes différences de mentalités sur le plan culturel et au niveau des conceptions de la vie. Ainsi se sont agrégées les réalités nationales toujours vivantes.

Des menées intégristes, des communautarismes ethniques, culturels et religieux sont autant de menaces graves contre l¹avènement d¹une citoyenneté européenne. Quant au pluralisme linguistique, celui-ci constitue à l'évidence, un frein majeur aux chances d¹une coopération harmonieuse entre peuples: ce serait encore pire si s'opérait une résurgence encouragée des langues locales, largement dévalorisées par l'évolution des pratiques linguistiques au sein de chaque état européen. Les "locuteurs" de ces langues minoritaires peuvent bien s'émoustiller en revendications contestables, leur agitation n¹est pas moins vaine et contraire aux évolutions des idées. D¹ailleurs, les nations affligées de ces morcellements linguistiques sont souvent en situation d¹infériorité au regard de l¹avenir commun dans le cadre de l¹édification européenne. On ne peut vouloir à la fois une chose et son contraire.

Les moyens d'une émergence citoyenne européenne.

Entre tous les outils possibles pour une édification citoyenne possible, figure bien entendu la laïcité, conçue à la fois en tant qu'éthique (c'est-à-dire comme un ensemble de valeurs et d'idéaux fondateurs), et en tant que statut juridique, civique et social de la vie des peuples.

Ce second aspect du concept de laïcité est essentiel, car c'est par les modalités de ses mises en pratique dans les multiples domaines de son champ d'application, que la laïcité trouve et prouve tous ses vertus, surtout dans un contexte global de société de plus en plus pluri-culturelle.

Il ne suffit pas pour cela d'une simple affirmation théorique, il convient que les réalités du vécu collectif, civique, social et juridique en constituent des concrétisations réelles à finalités harmonisatrices (notamment la séparation du domaine public européen vis-à-vis du domaine privé auquel appartiennent les influences et pratiques religieuses).

C'est dans cet esprit et cette perspective que nous avons rédigé et popularisé une Charte Européenne de la Laïcité, en même temps que des références explicites des textes fondateurs de l'Union Européenne aux principes généraux de la laïcité institutionnalisée.

Des besoins à satisfaire.

Pour que les peuples se sentent réellement concernés par l'Europe et qu'ils s'investissent dans son devenir, encore faut-il que les structures institutionnelles de l'Union Européenne soient considérablement enrichies et réformées:
* Il faut davantage de démocratie véritable: un rôle accru du parlement, une "dé-technocratisation" des pôles de décision actuellement sans contrôle, un respect des identités nationales assimilables à des projets globaux et à une politique d'ensemble.
* Il faut forger une volonté d'indépendance européenne vis-à-vis de la puissance américaine et à l'égard des volontés hégémoniques politiques, dogmatiques, économiques et financières, d'où qu'elles viennent.
* Il faut résister aux dogmes économiques prétendus incontournables.
* Il faut travailler ensemble à l'épanouissement culturel et à la synthèse des héritages civiques européens.
* Il faut se doter des moyens d'élaborer dans la concertation une politique extérieure européenne commune et la mettre en pratique dans l'indépendance et la cohésion interne.

Une citoyenneté de cohésion, de solidarité et de progrès partagé sera possible si la priorité est systématiquement accordée à l'intérêt général, au bien commun collectivement déterminé et à la coopération internationale sous toutes ses formes institutionnelles. Alors et grâce à la conquête de ces objectifs, on se sentira européen.

Nous avons décidé de développer notre action dans les directions suivantes:

• Création de délégations nationales et régionales;
• Officialisation du rôle du Mouvement auprès des instances européennes (une demande de reconnaissance comme ONG est en cours);
• Extension de notre rayonnement hors d'Europe, en collaboration avec les forces laïques existantes. Participation à un Observatoire International de la Laïcité.
• Participation à l'organisation d'une véritable Internationale Laïque.

Le Mouvement "Europe & Laïcité" vit exclusivement des cotisations de ses adhérents. Les nouvelles cotisations nous permettront d'enrichir le contenu du bulletin et d'accroître son rayonnement. L'abonnement simple au bulletin Europe & Laïcité est possible, mais son prix ne couvre que les frais d'impression et de diffusion.