Mouvement
"Europe & Laïcité"


  

Réponses à des questions souvent posées sur la laïcité

(2/3; ce document est réparti sur 3 fichiers; version du 25.12.1997)


  

Sommaire général et accès rapide aux différents chapitres:

D) Lobbys et communautés


Question D1: La loi de 1905, toujours en vigueur, affirme la liberté de pratique religieuse mais refuse aux musulmans les moyens matériels de cette pratique alors que les catholiques, les protestants et les juifs sont richement dotés en lieux de culte Ne faut-il pas subventionner la construction de mosquées pour les musulmans?

Notre réponse: Autoriser les subventions publiques pour la construction de lieux de cultes ouvrirait la porte à des demandes très nombreuses, en particulier de la part des sectes, dites "nouvelles religions". En outre, ce serait en contradiction avec la loi de 1905 (qui interdit de consacrer des fonds publics à la construction de nouveaux édifices religieux; J. Lang a dit à la télévision (M6, Capital, nov. 1995), qu'il avait "contourné cette loi" en donnant de l'argent pour la construction de la cathédrale d'Evry, au titre d'un musée intégré au bâtiment.)
Par contre, il pourrait être envisageable, sur le plan communal notamment, de mettre à la disposition des musulmans des lieux de cultes existants mais non fréquentés, propriétés de la puissance publique, ... tout en sachant cette proposition difficilement acceptable par le courant de pensée traditionnaliste chrétien, attaché à ce que ses défenseurs prétendent être "l'identité nationale".
Une position communale plus facilement acceptable serait la suivante:
Construire, si la nécessité s'en fait sentir, un édifice polyvalent municipal, propriété de la commune, loué ou prêté aux organisations, aux communautés, aux groupes de toutes sortes qui ne disposent pas des locaux nécessaires à leurs activités reconnues (cultes, réunions, fêtes, cérémonies).
Les dispositions matérielles du local commun mis à disposition, pourraient aisément être conçues, de façon modulable dans leurs structures internes, de telle sorte que chaque famille spirituelle puisse installer, le moment venu, le local en conformité avec ses besoins. Cette alternance dans l'usage de locaux communs pourrait amener les groupes humains à se découvrir réciproquement et à savoir cohabiter, voire cogérer un organisme commun.
Par ailleurs, il n'est pas évident que les immigrés de culture musulmane aient tous envie d'être pris en mains par des cadres cultuels islamistes attachés aux mosquées construites aux frais de la puissance publique. En outre, le monde musulman est si divers, si divisé, qu'il est assez irréaliste d'imaginer possible de lui attribuer des lieux d'implantation cultuelle satisfaisant ses multiples spécificités internes.

Question D2 : Ne faut-il pas envisager la laïcité de l'Etat dans le cadre plus général du fonctionnement de la démocratie et des relations du pouvoir civil avec les lobbies?

Notre réponse: Oui bien sûr. Les religions et les communautés cultuelles agissent comme des lobbies: elles réclament des subventions, et veulent faire modifier les lois dans des directions qu'elles défendent et qu'elles prônent pour leurs propres membres (contre le droit à l'avortement, par exemple, ou pour un certain code de la famille et à propos du statut de la femme). Elles cherchent à agir politiquement de deux façons:
* par l'intermédiaire de leurs fidèles en tant qu'électeurs,
* et d'autre part directement dans les comités d'éthique, commissions consultatives diverses, dans les ONG caritatives, par des représentations diplomatiques (Saint-Siège).
Etant donnée la perte globale d'influence des religions en France, et notamment de l'Eglise catholique au niveau des pratiques coutumières, et sur certains problèmes sociétaux (mariage, divorce, limitation des naissances, lutte contre le sida, campagne contre l'interruption de grossesse, etc...), celle-ci agit de plus en plus comme un lobby sur le plan politique et dans les médias.
Les religions profitent ainsi du laxisme des régimes démocratiques (voir J.M. Guéhenno : "La fin de la démocratie" sur le site de B. Courcelle). Elles cherchent à exploiter la participation électorale de leurs fidèles pour développer leur influence. Force est de constater néanmoins qu'en dépit de ces efforts du cléricalisme électoraliste, la grande masse des gens de culture religieuse ne "marchent plus au canon" face aux consignes électorales des prêtres: la laïcisation des esprits en est la cause, ce que regrettent fort les hiérarques religieux naguère dominants.
La sécularisation de la société de plus en plus imprégnée des valeurs laïques incite les citoyens à davantage de participation responsable, dans l'indépendance et la liberté d'esprit.
Le combat est loin d'être gagné.
Une nouvelle forme de cléricalisme se manifeste aujourd'hui : c'est la soumission à la "pensée unique" qui conditionne l'opinion publique à accepter l'idée que certaines idées dominantes seraient incontournables (le libéralisme capitaliste notamment, et tous ses aspects socio-économiques).

Question D3: La Science n'est-elle pas aussi une religion , avec ses dogmes, ses prêtres, ses discours obscurs et ses rites, dont l'Etat devrait se protéger au même titre que des religions traditionnelles et des sectes ?

Notre réponse: Non. L'eau et le feu sont-ils de même nature et peuvent-ils se confondre ? L'analogie entre science et religion est artificielle et fausse. Il est inutile de la réfuter, tellement elle est absurde. Mentionnons simplement que les exigences de la démarche scientifique authentique sont en accord avec les valeurs laïques:
* Maintenir intacte la liberté de pensée, hors des interdits et des vérités dogmatiques;
* Récuser toute prétention à l'infaillibilité;
* Admettre le droit à l'erreur, la nécessité de la remise en cause et du doute, dans le cadre d'une référence permanente (mais pas nécessairement exclusive) à la raison et à la pratique de l'esprit critique;
* S'opposer aux récupérations doctrinaires ou partisanes de toutes natures;
* Résister aux captations mercantiles, aux directives de la "raison d'état";
* Avoir le souci permanent de l'intérêt collectif et privilégier le bien public;
* Récuser l'autorité prétendue indiscutable de comités dits d'éthique, aptes à la rigueur à donner des avis, mais non qualifiés pour déterminer la règle et le droit, qui sont du ressort de la souveraineté des élus.
Chaque science définit ses principes de base, sa méthodologie: mais ce ne sont pas des dogmes; ces principes sont modifiables en fonction des nécessités issues de l'expérience ou de la critique interne des théories admises. Par exemple, la théorie de la Relativité a conduit à remettre en cause la notion de temps absolu, qui semblait évidente (et que Bergson s'est efforcé, contre Einstein, de sauver!).

Question D4 : Refuser aux "communautés" (ethniques et/ou cultuelles leur droit à la différence, n'est-ce pas instituer une nouvelle forme de colonialisme, de racisme ou d'intolérance?

Notre réponse : La laïcité ne refuse pas le droit à la différence, tant que celui-ci ne prétend pas revendiquer une différence des droits, tant que les différences proclamées sont en accord avec les principes de la loi républicaine et de la vie démocratique, et dans la mesure où, au sein de la communauté considérée, cette différence est volontairement pratiquée, hors de toute contrainte. (Par exemple : les mutilations sexuelles infligées aux enfants au nom de la tradition prétendue culturelle sont une contrainte.)
Il est essentiel d'éviter la fragmentation de la société en "ghettos" revendiquant avantages, subventions, représentations spécifiques, et droits particuliers, que ces communautés fermées soient fondées sur des traditions ou sur des convictions religieuses.
Les Etats-Unis sont en butte à ce phénomène qui engendre des refus d'intégration de la part de minorités plus ou moins importantes. L' "affirmative action" (débouchant par exemple sur l'attribution de quotas d'embauche ou d'admission dans les universités) contribue au maintien d'inégalités, voire d'injustices et au développement de fractures sociales.
D'autre part, il ne faut pas oublier que le droit à la différence, inaliénable et nécessaire, a pour corollaire le droit à la ressemblance et à l'égalité des statuts et des chances. En effet, on peut constater que, dans l'enkystement culturel et religieux où se sont autoenfermées certaines communautés (ou une partie d'entre elles) le respect des libertés individuelles est loin d'être pleinement assuré. Les femmes en sont, dans bien des cas, les premières victimes; certains jeunes également, filles ou garçons, auxquels certaines traditions imposent des contraintes ou des statuts d'infériorité, par exemple sur le plan matrimonial.
Une réflexion approfondie mérite d'être menée sur la légitimité (ou non) des droits absolus des parents à imposer une croyance et des rites contraignants à leurs enfants, ainsi soumis à des enfermements idéologiques et dogmatiques.
Le principe républicain de l'unicité des lois libère les individus de leurs attaches communautaires d'origine (dans ce qu'elles peuvent avoir d'aliénant) et en fait des Citoyens de la Nation, et non des sujets de quelques pontifes, gourous ou patriarches.

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