La Laïcité en Grèce: quelques progrès en vue. Dépêches de l'Agence France Presse. Polémique sur la mention de la religion sur les cartes d'identité (ANALYSE) par Rhéa SOURMELI ATHENES, 9 mai (AFP) - Le nouveau ministre de la Justice, en réaffirmant que la mention de la religion sur les cartes d'identité, obligatoire en Grèce, est "illégale", a relancé une polémique qui embarrasse la puissante Eglise orthodoxe, opposée à tout changement qui lui ferait perdre ses privilèges. Le professeur Michalis Stathopoulos, juriste éminent, a critiqué lundi dernier dans la première interview donnée depuis sa nomination il y a un mois, "l'hyperprotection" dont jouit dans le pays l'Eglise orthodoxe. Il a mentionné un à un les problèmes entre l'Etat et l'Eglise: le mariage civil non obligatoire, l'inexistence d'un serment civil pour les élus et les hauts fonctionnaires, l'absence de funérailles civiles et bien sûr la mention obligatoire de la religion sur les cartes d'identité nationale. Ce n'est pas la première fois qu'un ministre socialiste touche du doigt les problèmes de la non-séparation de l'Eglise et de l'Etat. Contrairement à ses habitudes qui ont fait de lui une star des médias, le chef de l'église ultra-orthodoxe, Mgr Christodoulos, est resté calme se bornant à déclarer que "c'était au peuple de décider". Le porte-parole du gouvernement Dimitris Reppas a déclaré que "le ministre de la Justice a exprimé ses vues personnelles" et que le gouvernement n'avait pas l'intention de changer quoi que ce soit au cadre existant". Parlant au nom du Saint Synode, l'évêque du Pirée, Mgr Callinikos, a pour sa part critiqué les déclarations du ministre "qui s'inscrivent contre la tradition de la Grèce" tout en affirmant que "l'affaire était close" puisque la réponse de M. Reppas "était claire". Mais M. Stathopoulos a relancé mardi la question de la mention de la religion sur les cartes d'identité. Il a rappelé l'existence d'une loi de 1997 "qui met en place des restrictions sur l'usage de données sensibles". Cette loi "prévoit que les convictions religieuses constituent une donnée sensible qui ne peut pas être utilisée sans l'aval de la personne ou sans la permission de l'autorité juridique", a-t-il assuré. "Interprêtez la loi, lisez-la et si vous la jugez mauvaise, agissez pour l'abolir. Tant qu'elle est en vigueur, il faut qu'elle soit appliquée", a-t-il lancé. Interrogé par l'AFP, M. Reppas a reconnu mardi soir l'existence du problème. "Ce qu'a dit le ministre sur la mention de la religion est une question qui existe. Elle doit donc nous préoccuper", a-t-il dit. Le dossier n'est pas nouveau. En 1993, le gouvernement conservateur de Constantin Mitsotakis, épinglé par le Parlement européen qui avait désapprouvé la mention obligatoire de la religion, s'était résolu à présenter un amendement rendant facultative la mention. Mais ses efforts s'étaient soldés par un échec car l'Eglise orthodoxe, religion dominante selon la Constitution, s'y était fermement opposée appelant les Grecs "à résister avec passion" y compris contre la mention facultative, mettant en cause "le lobby juif américain". Le texte a finalement été retiré devant l'opposition de plusieurs députés conservateurs mais aussi socialistes. Pourtant la petite communauté juive qui a survécu à l'Holocauste avait souligné dés le début de l'affaire qu'elle ne pouvait pas "supporter l'idée d'un fichier juif". Des réactions similaires avaient été lancées par les 60.000 Grecs catholiques et les quelque 40.000 protestants. La mention de la religion figure ainsi toujours sur les cartes d'identité malgré des déclarations de cadres du PASOK (socialiste au pouvoir), comme celles de Georges Papandréou et de Théodore Pangalos, actuels ministre des Affaires étrangères et de la culture. La Grèce est à 98% orthodoxe, même si l'écrasante majorité de la population n'est pas pratiquante. Les Grecs vivent l'orthodoxie comme une "expression de leur culture", rappelant qu'elle leur a permis de résister à l'assimilation avec les musulmans de l'empire Ottoman qui a occupé le pays pendant près de quatre siècles. ------------------------------------------------------ L'Eglise catholique de Grèce contre le "fichage" religieux des Grecs ATHENES, 13 mai (AFP) - L'Eglise catholique de Grèce a appelé à son tour à la suppression de la mention obligatoire de la religion sur les cartes d'identité du pays, majoritairement orthodoxe, dans un communiqué rendu public samedi. La Conférence épiscopale catholique juge "anticonstitutionnelle" cette obligation faite aux citoyens grecs, relevant dans son communiqué que la religion de chacun "n'intéresse pas l'Etat et encore moins la police". L'Eglise catholique dénonce également dans ce texte "l'existence en Grèce d'un sérieux problème de liberté religieuse". Le ministre de la Justice, Michalis Stathopoulos, avait rouvert cette semaine le débat sur ce dossier, très sensible en Grèce, en affirmant que la mention obligatoire de la religion était "illégale". Lâché par le gouvernement socialiste, dont le porte-parole, Dimitris Reppas, a qualifié son opinion de "personnelle", le ministre a toutefois reçu vendredi le soutien du président de l'Autorité pour la protection des données personnelles, Constantin Dafermos. Ce dernier a annoncé qu'il saisirait lundi l'Autorité --dont les décisions engagent l'Etat -- de la nécessité de supprimer la mention. Il a aussi appelé les Grecs à réaliser que cette particularité de leurs cartes d'identité "faisait la risée de l'Europe". La "laïcisation" des cartes d'identité, réclamée depuis des lustres par la frange progressiste de l'opinion publique, les minorités religieuses et les instances européennes, se heurte jusque là au farouche refus de l'Eglise orthodoxe d'Etat d'y consentir. Extrêmement influente dans un pays orthodoxe à 98%, cette Eglise a réitéré cette semaine son opposition à cette réforme. Son porte-parole, l'ultra-conservateur et nationaliste Mgr Kallinikos, est allé jusqu'à revendiquer pour la hiérarchie orthodoxe le droit de ne pas se conformer aux lois de l'Etat. Le chef de l'Eglise grecque pour un référendum sur le "fichage" religieux ------------------------------------------------------ ATHENES, 14 mai (AFP) - Le dirigeant de l'Eglise orthodoxe grecque d'Etat, Mgr. Christodoulos, a appelé dimanche à l'organisation d'un référendum sur le maintien ou non de la mention obligatoire de la religion sur les cartes d'idendité nationales. Réaffirmant dans un discours devant des organisations familiales sa farouche opposition à la suppression de cette mention, dans un pays orthodoxe à 98%, Mgr. Christodoulos a appelé les autorités à "faire un référendum pour que l'on voit finalement ce que veut le peuple". Il s'est affirmé convaincu du succès dans ce cas des thèses de l'Eglise. Ce prélat ultra-conservateur et nationaliste a émis cette proposition alors que le débat sur ce dossier, très sensible en Grèce, vient d'être rouvert par le ministre de la Justice, Michalis Stathopoulos, qui a qualifié "d'illégal" ce fichage religieux des Grecs. Si le gouvernement a publiquement lâché son ministre, qualifiant sa position de "personnelle", la question doit être examinée lundi par l'Autorité pour la protection des données personnelles. Le président de cette instance, dont les décisions engagent l'Etat, Constantin Dafermos, a jugé l'inscription de la religion "anticonstitutionnelle". Dans son prêche dominical en chaire, et une émission de radio, Mgr. Christodoulos a par ailleurs tiré à boulets rouges contre les "intellectuels" et les pays étrangers, accusés par lui de mener une "guerre enragée" contre l'Eglise et de vouloir priver les Grecs de leur identité et fierté nationale. Un précédent bras de fer entre l'Eglise, qui jouit d'une extrême influence en Grèce, et le gouvernement sur le même dossier s'était conclu en 1993 sur la victoire du clergé. Selon la presse, la hiérarchie orthodoxe serait en fait cette fois prête à un compromis avec une mention facultative, mais totalement opposée à la suppression de toute rubrique "religion" sur les cartes d'identité. ------------------------------------------- Suppression de la mention obligatoire de la religion sur les cartes d'identité ATHENES, 15 mai (AFP) - L'Autorité pour la protection des données personnelles a décidé lundi de supprimer la mention obligatoire de la religion sur les cartes d'identité nationales grecques, enjeu d'un vif débat avec l'Eglise orthodoxe dominante, a annoncé son président Constantin Dafermos. Lors d'une conférence de presse, M. Dafermos a indiqué que cette décision "engageait l'Etat". L'Autorité pour la protection des données est "prévue par la loi et constituée par une loi de 1997. Par conséquent, ses décisions sont obligatoires", a confirmé le porte-parole du gouvernement Dimitris Reppas interrogé par l'AFP. La mesure sera notifiée la semaine prochaine au ministère de l'Ordre public et devra être effective d'ici deux à trois mois, a précisé le président de l'Autorité pour la protection des données. Les anciennes cartes, d'une durée de validité illimitée et portant la mention, pourront être changées si leur détenteur le souhaite, a-t-il dit. L'Autorité a également décidé de supprimer les mentions de la profession, du nom du conjoint et l'empreinte digitale sur les nouvelles cartes d'identité qui constitue, selon M. Dafermos, "une suspicion d'une activité criminelle". M. Dafermos, également juge à la Cour suprême, a fait référence à la loi de 1997 en vertu de laquelle, a-t-il dit, la religion ne peut figurer impérativement sur les documents d'identité. Cette loi avait créé l'Autorité pour veiller à son application. L'orthodoxie est la religion "dominante" en Grèce, selon la Constitution, et l'Eglise n'est pas séparée de l'Etat. La semaine dernière, le nouveau ministre socialiste de la Justice nommé à l'issue des élections du 9 avril, Michalis Stathopoulos, avait relancé l'affaire en affirmant que la mention de la religion était "illégale" sur les papiers d'identité. Le chef de l'Eglise orthodoxe grecque, Mgr Christodoulos, a réaffirmé le week-end dernier sa farouche opposition à la suppression de cette mention, dans un pays à 97% orthodoxe, en réclamant l'organisation d'un référendum. M. Reppas a déclaré lundi lors de son point de presse quotidien que le gouvernement n'avait nullement l'intention de satisfaire au voeu de Mgr Christodoulos, archevêque d'Athènes. "La question ne se pose pas. Le gouvernement grec n'a pas l'intention de bouger dans cette direction. Chacun est libre de présenter ses vues, par conséquent l'archevêque aussi, mais c'est au gouvernement de s'occuper de la politique à appliquer", a dit le porte-parole et ministre de la Presse. M. Reppas a également affirmé : "Le ministre de la Justice ne fonctionne pas de façon autonome. Il est membre du gouvernement. Les rôles de l'Eglise et du gouvernement sont distincts: le gouvernement exerce son pouvoir et l'Eglise s'occupe de sa maison". En 1993, le gouvernement conservateur de Constantin Mitsotakis, épinglé par le Parlement européen qui avait désapprouvé la mention obligatoire de la religion, s'était résolu à présenter un amendement rendant facultative la mention. Mais ses efforts s'étaient soldés par un échec en raison de l'hostilité de l'Eglise, malgré les requêtes de la plupart des religions minoritaires en Grèce (juive, catholique et protestante). ------------------------------------------------ L'auteur d'un livre qualifié de "blasphématoire" par l'Eglise devant la justice ATHENES, 16 mai (AFP) - Mimis Androulakis, auteur d'un livre évoquant l'hypothèse d'une relation amoureuse entre Jésus et Marie-Madeleine et dénoncé comme "blasphématoire" par l'influente Eglise orthodoxe, a comparu mardi devant un tribunal athénien à la suite de plaintes d'intégristes. La cour a mis son jugement en délibéré et doit se prononcer dans les quinze jours. Les plaignants --le "Mouvement helléno-orthodoxe du salut" (Elkis), le monastère d'Esphigménou du Mont Athos, haut-lieu de l'orthodoxie interdit aux femmes, et quatre fidèles membres d'Elkis-- réclament la condamnation de l'écrivain et des éditions Kastaniotis, et l'interdiction de ce livre "injurieux, traître, antipédagogique et produit des frustrations sexuelles de son auteur". Des femmes portant des écharpes sur la tête et des moines ont brandi des drapeaux grecs et byzantins et ont conspué les témoins de la défense criant des slogans en faveur de l'"orthodoxie ou la mort" au cours du procès. Présenté par son auteur, un intellectuel de gauche, comme une histoire de la misogynie, "M à la puissance n" s'est vendu en moins de trois mois à plus de 90.000 exemplaires à travers pays, sauf à Salonique (nord) où il est interdit à la suite de mesures conservatoires. Nikos Dimaras, un moine d'Esphigmenou, témoin de l'accusation au procès, a soutenu que "le livre (...) enseigne l'inceste", et qu'"il présente l'apôtre Paul comme un personnage anormal et injurie la Sainte Trinité". Pour Nikos Sotiropoulos, un théologue parmi les plaignants, l'oeuvre "est unique dans la façon dont il injurie la chrétienté". La défense a riposté. Le professeur de sociologie Costas Tsoukalas a souligné qu'il s'agissait d'un "ouvrage littéraire et qu'il ne comprenait pas comment à notre époque on se permettait de juger la pensée". Le metteur en scène Nikos Koundouros a estimé que "l'écrivain avait l'intention de mettre en doute le dogme et l'arbitraire de l'Eglise". Pour l'écrivain Nikos Papandréou, frère du ministre des Affaires etrangères Georges Papandréou, "c'est aux lecteurs de juger le livre, et non aux policiers et aux juges". Un procès du même genre contre M. Androulakis et les éditions Kastaniotis a été reporté mardi à Salonique au 6 juillet. ------------------------------------------------- "L'Etat ne doit pas juger un citoyen de par sa religion" (Papandréou) ATHENES, 17 mai (AFP) - Le ministre grec des Affaires étrangères Georges Papandréou a estimé mercredi que l'Etat "ne doit pas juger un citoyen de par sa religion" se prononçant en faveur de la suppression de la mention de la religion des cartes d'identité, décidée lundi par l'Autorité pour la protection des données personnelles. A l'issue d'une réunion avec les ministres de l'Intérieur et de l'Ordre public, Mme Vasso Papandréou et Michalis Chrysohoïdis, M. Papandréou a réaffirmé son opposition à la mention de la religion. "En tant que Grec et orthodoxe, a-t-il ajouté, j'étais toujours convaincu que la foi ne peut pas être confirmée par une carte d'identité comme d'ailleurs aucun Etat, le Grec inclu, n'est justifié à juger son citoyen de par sa religion". "Ma position est donc claire: il faut que l'un soit séparé de l'autre", a-t-il ajouté. Ce n'est pas la première fois que M. Papandréou, un partisan de la laïcité, exprime son opposition à la mention de la religion sur les cartes d'identité. Mais cette déclaration intervient alors que la plupart des hauts prélats de l'Eglise (orthodoxe) de Grèce attaquent le ministre de la Justice le professeur Michalis Stathopoulos pour avoir relancé cette affaire. A l'initiative de M. Stathopoulos, l'Autorité pour la protection des données personnelles a décidé lundi unanimement de supprimer la mention, jusqu'ici obligatoire, de la religion sur les cartes d'identité nationales grecques. Les décisions de cette instance s'imposent à l'administration. La supression de la mention de la religion sera notifiée la semaine prochaine au ministère de l'Ordre public et devra être effective d'ici deux à trois mois, selon Constantin Dafermos, président de cette Autorité. Après avoir demandé un referendum sur cette question, proposition rejetée par le gouvernement, l'archevêque d'Athènes et de Grèce Mgr. Christodoulos a baissé le ton affirmant "que tout doit être réglé par le dialogue". Mercredi il s'est entretenu avec le ministre de l'Education et des Cultes Petros Efthymiou pour discuter des relations entre l'Etat et l'Eglise orthodoxe qui constitue, de par la constitution, un Etat dans l'Etat.