UN BON LIVRE

Un livre important et nouveau : TRAITÉ D’ATHÉOLOGIE

par Michel Onfray (Grasset, janvier 2005, 282 pages)

Chemin difficile pour l’athéisme ! Plutôt que des vérités sur lui-même, l’Homme réclame de croire à des fables, alors que la simple introspection devrait le pousser à évoluer debout. Les mots « athée, athéisme » datent du II° et XVI° siècle, avec leur acception toute négative. Muni des défauts retournés des hommes, Dieu légitime des extravagances grotesques dénoncées dans quelques belles pages sur les innombrables religions du monde. Pour l’éclairer, les Lumières (Montesquieu, Voltaire, Rousseau…) que l’on cite aveuglément n’apparaissent pas plus aveuglantes que ça, tout imprégnés de déisme qu’elles sont. Les vrais phares de l’athéisme sont Feuerbach, Marx, Freud et Nietzsche, et leurs précurseurs : l’abbé Jean Meslier (1664-1729) et d’Holbach (1723-1789 ; Le christianisme dévoilé, 1761).

De nombreuses caricatures affaiblissent l’athéisme : vues nihilistes ("sans Dieu tout est permis", alors que c’est justement l’inverse, voir croisades ou djihad), essai actuel d’introduction de « l’enseignement du fait religieux » (ou du loup, par la fenêtre de la bergerie…) ; ou cette idée vide et néfaste : « le réel n’épuisant pas la totalité, il doit donc exister quelque chose qui fasse sens, sinon… (Sinon, quoi ?) », ou encore les superstitions et les comportements mollement admis (mariages et enterrements religieux sans conviction).

Mais le noyau de l’affrontement est toujours le même : parmi tous les « interdits » qui fondent une observance, interdiction aux « fidèles » de chercher à comprendre le sens des textes fondateurs, et obligation d’y obéir aveuglément. C’est le sens du mythe de l’arbre de la connaissance du bien et du mal : ses fruits détournent de l’obéissance aveugle ! C’est si vrai que ces livres saints que seraient la Bible et le Coran ont été interdits de lecture durant des siècles, et le sont encore aux femmes en Israël et en Islam. Ajoutons l’Index des livres interdits par l’Église, en vigueur depuis 1559 jusqu’en 1966 !

Difficulté nouvelle pour « l’athéisme post-chrétien » : en fermant les yeux sur les valeurs pauliniennes (dédain du corps, du plaisir, de la femme) ou bibliques (respect de la loi, de l’autorité, des ancêtres), que l’on soit croyant ou non, les valeurs de références (charité, amour du prochain…) sont identiques.

L’« athéologie » a pour objet la déconstruction du monothéisme : montrer d’abord à quel point les fables mythiques ont pour bases la glorification du patriarcat de l’obéissance et de l’ascétisme, avec la haine de l’intelligence et du corps. Elle nous conduit ensuite à la mise à nu de l’histoire de chaque religion : pour le christianisme, cheminant de Paul de Tarse mené par son impuissance, à Constantin mené par ses crimes, des croisades aux génocides coloniaux, de l’Inquisition aux Indulgences, des niaiseries du XIX° siècle (Immaculée Conception, infaillibilité pontificale, refus des résultats scientifiques) aux ignobles compromissions de Pie XII avec les nazisme… cette histoire est loin d’être glorieuse. Des chemins semblables ont été suivis par le Judaïsme et l’Islam. La troisième phase de la déconstruction consiste à montrer comment fonctionne l’endoctrinement : les textes fondateurs contenant tout et son contraire, il suffit aux prêtres d’en faire des « prélèvements sélectifs » pour répondre à tout problème. À cette technique, et pour lutter contre la logique commune, s’ajoute la « logique performative » : il suffit qu’un fait soit énoncé par un dignitaire pour qu’il soit pris pour vrai, puis propagé…

Les combats prochains nécessitent de nouvelles armes, qui devront être émancipées des impératifs monothéistes comme des sottises exprimées dans de si nombreux interdits, sans recours aux fables ni au mysticisme ; et sans neutralité : il n’est plus temps !

C’est donc à mon avis un essai important, fort et novateur, avec une bibliographie passionnante et originale, capable de faire réfléchir le croyant le plus fervent comme l’athée le plus convaincu. Le plan de l’ouvrage est moins efficace que son contenu, riche, passionné, parfois véhément, toujours convaincant. Il comporte pourtant deux graves lacunes : en amont, rien sur les raisons profondes de l’universalité du fait religieux, comme on en trouve l’exposé magistral dans « La culpabilité » de Marc Oraison (Seuil, 1974, pp. 63-87) ; et rien en aval, sur le problème que doit affronter l’organisation d’une société laïque, la pratique religieuse étant collective et démonstrative par nature…

Frédéric CABY